L’annonce d’une maladie n’est jamais une chose facile à encaisser : on comprend que l’on va devoir se battre, sans savoir trop contre quoi, ni comment. C’est en tout cas un peu comme cela que je l’ai ressenti, en traversant une période de questionnement, sans franchement trouver les réponses. Je savais que ma vie allait changer, sans savoir ce qui allait changer, ce que moi, je devrais changer.
J’étais dans un tunnel, me laissant porter de médecins en rhumatologues, un peu en mode automate, en ayant des questions tournées vers les conséquences de cette annonce, plutôt que vers les questions administratives.
Affection de longue durée…
C’est mon rhumatologue qui m’a parlé pour la première fois du régime ALD, pour “affection longue durée”. J’ignorais totalement l’existence de ce dispositif, ce qui était somme toute peut-être normal à 25 ans. J’avais au moins eu la chance de ne pas avoir à le connaître avant.
Pour ceux qui ont encore la chance de ne pas connaître ce régime de la Sécurité sociale, il permet de prendre en charge à 100% les dépenses de santé ayant attrait à une pathologie bien précise. Seule une trentaine de pathologies sont concernées, type le cancer, le diabète… et la spondylarthrite donc…
Je laisse imaginer ce qu’il s’est produit dans mon esprit quand je me suis vu côtoyer ce type de pathologies…
Mon rhumatologue venait de me mettre sous biothérapie, traitement qui m’était tout autant inconnu que le régime ALD, en m’indiquant que mon généraliste s’occuperait de la paperasse pour ce fameux régime ALD.
C’est en allant chercher ma première boite que j’ai compris l’intérêt du régime ALD : la boite coûtait à l’époque quasi 1000€ pour un mois de traitement. Avec les consultations et un peu de kiné, je frôlais les 15 000€ par an de dépenses. L’intérêt du régime ALD apparaît vite ! A l’époque, j’avais un très petit salaire qui n’aurait jamais pu couvrir un reste à charge de ce type. Car je pense que ma mutuelle ne m’aurait pas gardé bien longtemps !
C’est donc très sereinement que j’ai fait la demande conjointement avec mon généraliste, auprès de la Sécurité sociale, pour bénéficier de ce dispositif, naïvement persuadé que l’acceptation revêtait une forme d’automaticité puisque émanant de médecins, pour lesquels j’avais en prime une estime sincère. Je suis comme cela : je crois toujours vivre dans un monde de bisounours où tout le monde est gentil.
Ben… c’est pas tout à fait vrai ! 😂
Le contrôle…
J’ai reçu un beau matin un courrier de la Sécurité sociale m’informant que ma demande allait faire l’objet d’un contrôle et que je devais venir en entretien avec tous les documents prouvant ma pathologie.
J’ai pris toutes mes radios, IRM, analyses diverses et variées et je m’y suis rendu, franchement serein, convaincu du bien fondé de la demande de mon généraliste, avec malgré tout une pointe d’appréhension : cela reste quand même un contrôle. Mais dans toute la phase de recherche de la maladie, je ne suis tombé que sur des professionnels d’une rare qualité d’écoute et d’une infinie bienveillance. Pourquoi cela changerait-il ? La naïveté…!
Quand je suis rentré dans le bureau, j’ai immédiatement compris que cela ne se passerait pas du tout comme prévu et que je n’étais clairement plus dans le monde des bisounours. Il y avait dans ce bureau une tension palpable.
Finie la bienveillance, je dois me justifier. Justifier mon état. Mes résultats d’examens sont à peine lus, tout juste balayé du regard. Et je subis une batterie de questions comme si j’étais le dernier des délinquants, comme si j’affabulais.
Je perds pied dans cet interrogatoire déséquilibré. Elle a le savoir, j’ai les maux. Il me manque désespérément les mots et le savoir.
Je ne comprends pas ce que je fais là, à défendre l’obtention d’un statut que je ne connaissais pas quelques mois auparavant. Pourquoi était-ce à moi de justifier la demande de mon médecin ? Moi qui n’avais aucune connaissance médicale ? Pourquoi ne s’adressait-elle pas directement à mon médecin ?
Et vint la question qui me mit hors de moi.
“Quel est votre niveau d’étude ?”
J’ai donc entrepris de lui expliquer, pas franchement de façon sereine, tout le bien que je pensais de cette question et pourquoi je n’y répondrai pas. Trust résume bien mon état d’esprit à ce moment là ! 😉
Encore aujourd’hui, je me pose le bien-fondé de cette question. Si je peux comprendre la nécessité de prendre un patient dans sa globalité dans le traitement d’une maladie, ce qu’elle n’était assurément pas en train de faire, quel est l’intérêt du niveau d’étude ? Je comprends l’attention portée à la profession exercée, surtout avec ce type de pathologie qui impacte forcément une carrière professionnelle. Mais que vient donc faire là le niveau d’étude, alors même que je suis sorti de l’école depuis plus de six ans ?
Avant de claquer la porte, je tente l’argument ultime : 1041€. Le prix du traitement chaque mois. Je me vois rétorquer que je dois bien avoir une mutuelle qui prendra le différentiel. Le différentiel s’élève alors à plus de 300€ par mois…
L’envie m’est venue de lui raconter une histoire à base de marmotte et de papier d’alu, issue d’une pub célèbre…
Je me suis levé. La porte dans les mains, je lui ai lancé un dernier regard afin qu’elle saisisse bien tout le mépris que je lui portais. Et de toutes mes forces, j’ai claqué la porte. Les murs de la Sécurité sociale doivent encore en trembler.
La réponse est arrivée quelques jours plus tard : prise en charge en affection longue durée refusée.
Elle m’avait donc condamné à ne pouvoir accéder au seul traitement qui me soulageait. Ceci allait avoir une conséquence très directe : pas de traitement, pas de travail.
La riposte !
J’ai passé les jours suivants à me remémorer cet entretien en me demandant si je n’aurais pas dû être plus conciliant. Plus j’y repensais, plus il était clair que la décision avait été prise bien avant que je ne pénètre dans ce bureau.
Et plus je me le remémorais, plus m’est apparu un véritable fossé entre la relation que j’avais pu avoir avec l’ensemble des médecins que j’avais rencontrés et elle. D’un côté la bienveillance, de l’autre la suspicion. D’un côté l’écoute, de l’autre le dédain.
Comment ce médecin de la Sécurité sociale pouvait être si différent des autres ? Pourquoi n’avait-elle pas souhaité me protéger comme tous les autres ?
Ces questionnements m’ont amené à lire le serment d’Hippocrate.
J’ai sursauté au premier point :
“Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux.”
A aucun moment celle-ci n’avait, par son action, ni rétabli, ni promu, ni préservé ma santé.
Je savais que, comme toute décision administrative, celle qui venait d’être prise à mon encontre était contestable. Mais l’humiliation que j’avais subie me donnait l’envie d’aller au-delà de la simple contestation administrative.
Etant médecin au même titre que tous les autres, elle a prêté serment. L’Ordre des médecins est quant à lui chargé de “veiller au maintien des principes de moralité, de probité, de compétence et de dévouement indispensables à l’exercice de la médecine et au respect, par tous les médecins, des principes du code de déontologie médicale.”
Mon interlocuteur était tout trouvé. J’ai pris ma plume, et ai écrit au Conseil départemental de l’Ordre des médecins pour relater cet entretien ubuesque et ses conséquences.
L’effet a été immédiat : sans même que je conteste formellement, un second rendez-vous d’expertise médicale était déclenché par le directeur de la Sécurité sociale en personne. Et devant un rhumatologue cette fois-ci.
L’expertise a conclu que je souffrais bien de spondylarthrite ankylosante et que, bien entendu, je devais être pris en charge au titre du régime des affections longue durée.
Tout ça pour ça…
J’ignore ce qu’est devenu ce médecin de la Sécurité sociale. J’ignore également qu’elle était sa part de libre arbitre dans ses décisions. Mais aujourd’hui encore, mon mépris pour elle est sans limite.